Références Bibliographiques :

Quelques références pour la pratique en cabinet comme en Institution.

Nicolas ABRAHAM et Maria TOROK.

Entre 1959 et 1975, Nicolas Abraham (1919-1975) et Maria Torok (1925-1998) ont transformé la pratique de l’écoute en psychanalyse. Portés par le seul désir d’éclairer, coûte que coûte, les zones d’ombre de la souffrance humaine et d’étendre par là les limites de l’accueil de l’autre, les auteurs rejettent toute notion de conflit-type d’ordre universel, portant leur intérêt vers les catastrophes, les hontes singulières, personnelles, familiales ou sociales qui entravent le travail d’ouverture psychique. Seront ainsi inaugurés les concepts de secret de famille transgénérationnel, de deuil impossible, de deuil impossible, d’enterrement d’un vécu inavouable, d’incorporation secrète d’un autre, notions ayant toutes pour objectif de dessiner une clinique de la reconstruction de soi.

    x L’Ecorce et le Noyau, 1978.

Cet ouvrage contient des essais rédigés entre 1959 et 1975 et a été publié après la mort de Nicolas Abraham.

La psychanalyse bute sur une difficulté de principe : elle tente d’accéder à un champ (les pulsions, l’affect, l’inconscient) inaccessible par la langue courante, un champ dont les processus n’ont aucun sens (anasémie) dans cette langue. Tant qu’on en reste à une phénoménologie de type husserlien, qui ignore l’inconscient, on laisse la psychanalyse impensée. Que faire alors? Imaginer une transphénoménologie capable de produire des concepts anasémiques, c’est-à-dire des concepts qui assurent la médiation entre l’expérience et ce champ inconnu. Dans cette perspective, Abraham et Torok redéfinissent la théorie analytique et les concepts freudiens (inconscient, pulsion, libido) [anasémiques depuis Freud, même s’il ne l’a pas conceptualisé] et en définissent d’autres : symbole, crypte, fantôme, hantise, introjection, maladie du deuil, trace. Cela suppose une clinique où l’analyste réussit, par le transfert, à faire résonner sa structure imaginale avec celle du patient.

Dans la métapsychologie d’Abraham et Torok, pour que se mettent en place le langage et la culpabilité, il faut une introjection primordiale des objets et de la libido inconsciente. Si cette introjection réussit, les affects, désirs, contre-désirs et fantasmes peuvent se déployer. Le langage supplée à l’expérience de l’absence. En figurant l’autre en lui, l’archi-ego surmonte l’angoisse originelle. Une symbolique se met en place en relation dynamique avec les désirs.

Mais si, à cause d’un trauma du patient ou d’un trauma qu’un autre aura tenu secret et qui lui aura été transmis par des voies inconscientes (par exemple dans la généalogie familiale), l’introjection échoue, alors ce qui se met en place est une incorporation. Certains mots du désir deviennent innommables, impossibles à dire. La bouche ne peut plus les articuler. Le sujet, devenu cryptophore, se place dans la dépendance d’une Imago fantasmatique et interdictrice. Tout ce qui est refusé, masqué, dénié, se transforme en une réalité inavouable, se pétrifie en une sorte de tombeau ou monument intérieur. Le vide originel, qui ne peut plus être mis en mots, revient sous forme de mélancolie (maladie du deuil). Les symboles qui reflètent ses conflits intérieurs deviennent ininterprétables.

Les processus découverts par Abraham et Torok dans la mélancolie peuvent être généralisés. Chaque parole est double : d’une part elle réveille un fantôme anasémique, et d’autre part elle fait en sorte que ce fantôme soit exorcisé – c’est-à-dire qu’il reste inaccessible. Le savoir qu’il transmet doit rester insu, refoulé, inavouable, enfoui dans une crypte. Il en résulte un clivage du moi – une partie dissimulée et une autre qui cherche à continuer à vivre. Les mots ne sont pas seulement porteurs d’une signification, mais aussi d’un drame mémoriel qui ne s’efface pas. Le fantôme se manifeste par une hantise, ce qui peut événtuellement conduire à des comportements névrotiques ou pathologiques, des maladies psychosomatiques et aussi à la création d’oeuvres exceptionnelles – des oeuvres qui demeurent muettes, illisibles, mais qui résolvent de manière originale et exemplaire un conflit inconscient.

On trouve aussi chez Abraham et Torok une théorie de l’auto-affection. Au départ, l’enfant trouve dans la conjonction du Je et du Me (touchant-touché), plus particulièrement dans le couple ouïe/phonation (« Je m’entends ») une source de certitude. En se percevant lui-même, il donne consistance à son ego. Mais le décalage entre désir conscient et voeu inconscient (qui est à l’origine de la temporalité) trouble cette certitude. Autre chose arrive que ce qui était attendu.

Sigmund FREUD :

    x L’intérprétation des Rêves ( ou La Science des Rêves ou Die Traumdeutung), 1900.

L’Interprétation des rêves (Die Traumdeutung) est un ouvrage de Sigmund Freud publié fin 1899, mais daté de 1900, son auteur voulant l’ancrer dans le nouveau siècle1. D’une part il s’agit d’un moment de systématisation de la théorie analytique, qui deviendra la métapsychologie, et d’autre part ce fut un livre qui fit connaitre la psychanalyse, non sans faire émerger moult critiques.

    x Une version plus accessible de l’ouvrage précédent : Sur le rêve, 1901.

À la fin de 1899 mais daté de 1900, comme pour marquer un nouveau siècle, paraît Die Traumdeutung : c’est le livre du rêve jusque dans sa composition baroque, foisonnante. Un an plus tard paraît ce petit livre-ci, commandé par un éditeur, et dont le propos est bien différent : cette fois, c’est un exposé sur le rêve et qui revêt une forme plus classique, parfois didactique.

Comme l’indique Didier Anzieu dans sa préface, la Traumdeutung constitue une initiation à l’inconscient. Sur le rêve, lui, introduit à la psychanalyse. Y sont énoncés les résultats acquis par une science alors toute nouvelle. Si l’objet est ici le rêve, Freud n’entend pas pour autant lui conférer une valeur exceptionnelle. Au contraire, il se déprend et déprend tout au long son lecteur d’une « surestimation », romantique ou mystique, qui ferait du rêve le lieu de quelque ascension de l’âme vers l’inconnu. Aussi porte-t-il principalement son attention sur les procédés du « travail du rêve » en les illustrant par de nombreux exemples et en nous engageant à les retrouver à l’œuvre dans d’autres productions de l’inconscient. Sur le rêve, oui, mais surtout pour l’analyse, pour une méthode.

    x Psychopathologie de la Vie Quotidienne, 1904.

Psychopathologie de la vie quotidienne est un ouvrage de Sigmund Freud, publié en 1901 sous le titre Zur Psychopathologie des Alltagslebens. Über Versprechen, Vergessen, Vergreifen, Aberglaube und Irrtum qui traite du phénomène de l’acte manqué comme langage de l’inconscient.

Freud y applique la psychanalyse à l’interprétation des actes de la vie quotidienne (oublis, lapsus, faux souvenirs…).

x Cinq Psychanalyses, 1909.

Cinq psychanalyses est un recueil de cinq cas cliniques de la psychanalyse, parfois publiés séparément, parus ensemble pour la première fois en 1909, relatant des cures analytiques menées par Sigmund Freud à des périodes différentes.

– Dora (Ida Bauer) : un cas d’hystérie. Le premier cas dont il est question est un cas d’hystérie diagnostiquée chez une jeune fille, Ida Bauer, mais appelée « Dora » par Freud dans les Cinq psychanalyses. (Voir aussi hystérie, transfert (psychanalyse))

– Le petit Hans (Herbert Graf) : une phobie. (Voir aussi fantasme originaire, angoisse de castration)

– L’homme aux rats (Ernst Lanzer) : une névrose obsessionnelle. Freud a reçu Ernst Lanzer en 1907 et, le surnommant « l’homme aux rats », a pour la première fois publié son cas en 1909 sous le titre Remarque sur un cas de névrose obsessionnelle. (Voir aussi névrose obsessionnelle, déni, culpabilité)

– Le président Schreber (Daniel Paul Schreber) : une paranoïa. Étude clinique des Mémoires d’un névropathe, écrits par Schreber, parfois surtitrée Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa.

– L’homme aux loups (Sergueï Pankejeff) : une névrose infantile. Sergueï Constantinovitch Pankejeff était diagnostiqué par Freud comme étant atteint de névrose infantile, et fut surnommé « l’homme aux loups » dans les Cinq psychanalyses. (Voir aussi fantasme originaire, Noms du Père)

Joseph MORNET, Psychothérapie institutionnelle. Histoire et actualité, 2007.

N’en déplaise aux esprits chagrins et aux affamés de pouvoir, les temps présents ne sont ni à l’oubli de l’histoire ni à l’effacement programmé de quelques-uns de ses derniers événements. Bien au contraire ! Certaines publications récentes, dont celle-ci de Joseph Mornet sur l’histoire et l’actualité de la psychothérapie institutionnelle, prennent à contre-pied les discours dominants sur l’ordre et la sécurité, bousculent les évidences d’une pensée contemporaine affadie par le manque de repères culturels et proposent des pistes de réflexion qui, loin des raccourcis faciles, sont de véritables ouvertures vers demain. « Chacun d’entre nous a besoin pour vivre de sentir sa présence au monde comme réelle, vivante, entière et temporellement continue » (p.35). De 1945, et la sortie d’un terrible conflit mondial, au tout début des années 80, et l’avènement triomphant d’un socialisme aussitôt vidé de sa substance, la société et la folie, étroitement enlacées en leurs communes limites, ont connu ensemble une véritable révolution psychiatrique portée à la fois par un bouillonnement politique et une vie intellectuelle extrêmement explosive. C’est l’époque où Lucien Bonnafé, l’un des pères de la politique de secteur, dénonce la psychanalyse comme étant une science réactionnaire ; ce qui ne l’empêche pas par ailleurs de participer aux fameux séminaires de Jacques Lacan, rue d’Ulm, vers lesquels convergent et débattent des personnalités depuis renommées telles que Jean Ey, François Tosquelles, Félix Guattari, Jean Oury et tant d’autres.

La force de cet ouvrage réside dans sa capacité à faire jaillir toute la complexité d’un concept aussi subtil que celui d’aliénation, dès lors qu’il s’élabore à la croisée de l’individu et de son rapport à la société. « La théorie sociale de la psychothérapie institutionnelle s’appuie sur une conception héritée à la fois de Marx et de Sartre. Du marxisme, elle reprend la notion d’aliénation, concept qui n’est pas tout à fait étranger, d’ailleurs à la psychanalyse » (p.43). À ceux qui proposent soit l’adhésion sans concession aux thèses de 68 soit leur condamnation sans équivoque, Joseph Mornet oppose une approche bien plus sensible de l’humanité et de ses folies. « Ce qui semble faire défaut au psychotique n’est donc pas la capacité à transférer, mais bien plutôt celle d’en éprouver la vraie nature » (p.125). Voilà un énoncé qui mériterait d’être travaillé en ces temps de totale déshérence intellectuelle et psychique. « La psychothérapeutique institutionnelle est une enfant fragile », disait Félix Guattari (p.177). À la veille de sa mort, François Tosquelles portait lui aussi un regard pessimiste sur la survie de la psychothérapie institutionnelle (dans L’ombre portée de François Tosquelles). Le livre de Joseph Mornet montre que celle-ci tient encore sur « ses deux jambes ».

Jean Oury, Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle, 2003.

Jean Oury, est-il besoin de le rappeler, est actuellement un des psychiatres qui connaît le mieux au monde la problématique de la psychose, à la fois sur les plans clinique, psychopathologique, et surtout thérapeutique. La création de la clinique de La Borde a été un des actes les plus significatifs de la psychothérapie institutionnelle, et le travail qui continue de s’y dérouler cinquante ans après sa fondation, sert de référence dans un nombre considérable de pays pour les équipes psychiatriques qui ont décidé de prendre en charge au long cours les patients psychotiques. L’intérêt de publier un tel corpus tient à sa structure de constellation: il rassemble en 24 textes à peu près tous les outils conceptuels que Oury a développés et développe encore aujourd’hui. Il part à l’aventure sur l’océan de la folie en abordant dans les principaux ports de la psychose et de l’institution, et, tel un découvreur de contrées nouvelles, il enrichit les espaces connus de nouvelles dimensions, de pistes novatrices.

–  Jean Oury, Marie Depussé, A quelle heure passe le train… Conversations sur la folie, 2002.

D’où ce très singulier dialogue, où la théorie se prolonge en des scènes poétiques, souvent drôles. Marie Depussé écrit, parfois dans ses mots à lui, ou dans sa langue à elle, sa pensée à lui. Il y a dans ce duo beckettien une tendresse distante, son insolence à elle, son rire à lui.

 » Ils sont assis sur les marches en pierre un peu sales du château, par toutes les saisons. Ils attendent. Tu dis que les psychotiques sont comme des colis en souffrance, oubliés dans une gare de campagne. Quand ton maître en psychiatrie, le catalan François Tosquelles, est venu à la clinique de La Borde, il a regardé les marches et il a posé une seule question :  » à quelle heure passe le train ?  »

Tu es psychiatre, un grand psychiatre comme on dit dans les romans… Pas moi. Si nous sommes là, à parler, et si nous partageons quelque chose, ce n’est pas un savoir, mais une obstination, un amour… Ce mot-là, il faut le dire dans la marge, sans accent, en douce. Nous aimons passer nos jours avec les fous.  » M.D.